Le système scolaire est une sorte de machine à laver. Ou alors c’est l’enfance et l’adolescence. Les trois vont ensemble. On entre en primaire et là ça va vite. On apprend des tonnes de choses. L’histoire de France, les maths, l’éducation physique ou encore les SVT. Mais c’est aussi pendant ces années qu’on appréhende la vie en société. À mon avis, ce sont les années les plus importantes. Ensuite, une fois le baccalauréat en poche, certains partent directement sur le marché de l’emploi. D’autres font des études supérieures. Si en entrant en première année on est plus vieux, on reste dans le giron du système scolaire et donc de la machine à laver. Rapidement les premières expériences professionnelles arrivent. Les stages s’enchainent puis le premier CDD et enfin le premier CDI. Une paire d’années passent et ça y est, la vie d’adulte est là. Des trucs chiants sur lesquels je ne vais pas m’attarder.
Pour moi, ce moment est arrivé vers l’âge de 28 ans. Je me suis posé et j’ai réfléchi à ce que j’étais devenu ou ce que j’avais fait. C’est notamment à ce moment-là que j’ai repensé à mes années à l’école. Je l’avais déjà ressenti pendant tout ce temps mais ma conclusion est sans appel. Ce qui m’a toujours le plus importé ce ne sont pas les cours mais les gens. Car pour moi, c’est ce qui est primordial.
Une fois les bons souvenirs avec les camarades de classe remémorés, j’ai pensé aux profs. Les profs n’étaient pas mes amis et c’était réciproque. J’étais chiant à gérer. Extrêmement insolent. Mais pas vraiment méchant. Cela dit, ça m’a tout de même valu des tas d’heures de colle et des avertissements.
En 2018, à l’occasion du retour en France d’un ami, je me suis retrouvé dans une soirée où il y avait ma professeure principale de seconde. L’année où j’ai été le plus turbulent. On a parlé de cette période et elle m’a dit la façon dont elle me voyait. À ce moment-là, j’ai compris que les profs n’étaient pas que des machines à noter mais aussi des humains dont le travail est, en partie, d’analyser les gamins qu’ils ont en face d’eux. Son analyse de moi était horriblement vraie.
À un autre moment en 2018, je me suis retrouvé à prendre un verre avec une ancienne camarade de fac d’anglais. Aujourd’hui, elle est en train de faire des études pour devenir elle-même prof. On parle, on parle et on en vient à évoquer une prof qui a retenu notre attention pendant nos années en commun. Une prof sympa et passionnée, difficile à oublier. Même si c’est avec elle que j’ai eu les pires notes de toute ma carrière scolaire. À ce moment, je dis à ma pote que j’aimerais la retrouver pour lui dire que même si j’étais infâme pendant ses cours, je m’en suis bien sorti. Elle me dit que c’est une bonne idée car ce genre d’initiative est trop rare.
L’idée est plantée. Je fais quelques recherches mais c’est compliqué. Ou alors peut-être que je n’ai pas trop envie de retrouver cette prof en particulier. Du coup, je laisse tomber. Mais je n’ai pas besoin de réfléchir longtemps pour qu’une autre prof me vienne en tête.
Je l’ai eu en 6e et en 5e au collège David d’Angers. Elle enseignait l’anglais. Je ne l’ai jamais oubliée pour deux raisons. La première c’est qu’elle était vraiment super sympa. La seconde, c’est la seule à m’avoir donné un 20 /20 de tout mon parcours scolaire. Mais ce qui m’a marqué c’est qu’elle était profondément sympa. À l’époque, je n’y avais pas trop fait gaffe. Mais l’âge faisant, j’ai compris qu’il n’y a rien de mieux que des gens passionnés par leur métier, encore plus quand ce sont des profs et qu’ils façonnent les adultes de demain.
Profitant d’un séjour dans la ville où j’ai grandi, je me suis donc mis en tête de la trouver pour lui dire merci d’avoir été la meilleure prof que je n’ai jamais eu. Bon, vous vous doutez que ce n’a pas été si simple.
Je commence par faire des recherches en ligne. Problème, j’ai beaucoup de mal à la trouver. Elle a un nom qui semble répandu dans la région. Par ailleurs, elle ne semble pas avoir une présence en ligne très importante. Tout ce que je vais trouver c’est un document qui dit qu’elle a bien enseigné à David d’Angers lors de l’année 2016/2017. C’est encourageant. Je ne vais pas tarder à avoir la confirmation de sa présence dans l’établissement.
Mardi, je dois retrouver un pote en ville. Je suis en voiture. Je tourne autour de la rue Bressigny pour trouver une place. À un moment donné, je passe dans la rue du collège. Et là, qui je reconnais tout de suite ? Cette prof d’anglais. Elle a un peu changé mais pas de doute, c’est elle. Elle est en train de blaguer avec un assistant d’éducation, un grand sourire sur le visage. C’est fou, c’est exactement le souvenir d’elle que j’avais gardé. Quel hasard ! J’aurais pu passer là n’importe quand et je tombe sur elle, c’est un signe.
J’ai envie de lui faire un signe ou d’essayer de lui parler mais je suis dans ma voiture sur une voie unique sans endroit pour se garer, même 30 secondes. Je dois repartir. Motivé comme jamais, je décide d’y retourner le lendemain.
Mercredi. Je me gare près du collège. Mon plan initial était de m’introduire dans le collège mais après je ne saurais pas où aller donc j’abandonne vite cette idée. Ensuite, je me dis que je vais attendre devant le collège. C’est un plan qui tient la route car tous les profs du collège traversent la rue pour aller en salle des profs qui se trouve au lycée qui est juste en face. Rapidement, je me rends compte qu’il s’agit d’un plan pourri car si elle n’est pas là je vais attendre pour rien. J’identifie des assistants d’éducation qui sont là pour aider les élèves à traverser. Je vais en voir une et je lui explique ma démarche. Là, son visage s’illumine et elle me dit qu’elle a aussi eu cette prof dans le même collège. C’est un détail mais sa réaction me confirme ce que je pensais. C’est vraiment une personne qui marque ses élèves. Ensuite, elle m’invite à aller à la vie scolaire pour voir avec son collègue si elle a cours aujourd’hui. Malheureusement, le gars me dit qu’elle avait cours que le matin. Il me dit à partir de quelle heure elle sera là le lendemain.
J’ai été particulièrement surpris par l’accueil chaleureux de ma démarche. Je ne vais pas vous mentir, je ne savais pas comment j’allais être accueilli. Mais les personnes que j’ai croisées sur mon chemin ont été géniales. C’était presque trop facile mais c’était sans compter sur le lendemain.
Jeudi. Cette fois, c’est la bonne. Je sais qu’elle a cours à 13h. Le gars d’hier m’a dit que ça servait à rien de venir avant 12h45 car elle serait en salle des profs. Je repars donc sur mon plan initial qui est d’attendre dans la rue pour l’attraper avant qu’elle aille en classe. Mais en y réfléchissant bien je me dis que c’est trop passif et risqué.
Je prends donc l’initiative d’aller la chercher directement en salles des profs. Mais alors que j’adorais m’introduire dans les lycées qui n’étaient pas les miens, plus jeune, et que je m’apprêtais à faire de même, je vois un panneau où il est écrit en gros qu’il faut s’adresser à l’accueil si on est un visiteur. J’hésite mais je me dis que ça ira plus vite si je demande. Je m’adresse donc à un type qui est bien plus hostile que les assistants d’éducation de la veille. Il faut dire qu’il est plus âgé. Du coup, je lui demande où se trouve la salle des profs mais il me dit de me rendre à la vie scolaire. J’y vais, j'explique mon projet et une meuf assez jeune m’indique comment me rendre en salle des profs.
Ça y est, je touche à mon objectif. L’entrée dans la zone des profs est indiquée. Je m’avance d’un pas décidé et à un moment donné je tombe sur une salle où sont assis une quinzaine de profs. J’avais prévu de faire un appel à la cantonade mais au dernier moment j’ai renoncé à le faire, par peur. Stupide. Du coup, j’ai rebroussé chemin et je me suis placé à l’endroit où elle était obligée de passer pour se rendre en cours, au bout du couloir. J’attends la 5 minutes. Je vais et je viens, je regarde l’art accroché au mur. J’observe les élèves qui sont en pause. Et là, je tombe sur un plan du bâtiment. Je découvre une donnée que j’ignorais. De l’autre côté du couloir, il y a une autre sortie. Putain de merde. Ça serait stupide qu’elle sorte par là-bas et que j’échoue. Je réfléchis vite, il est 12h52 et son cours commence à 13h. Par sécurité, je décide de sortir du bâtiment et de me mettre dans l’entrée du lycée, un endroit par où elle est obligée de passer pour se rendre au collège. Ce repli stratégique me semble être le bon. Enfin, à condition qu’elle ne soit pas déjà passée de l’autre côté.
J’attends. Je tourne en rond. Je vois des élèves se hâter de rejoindre le collège. Des profs passent aussi. Mais pas ma prof d’anglais. Je regarde mon portable, 13h approche. Je suis attentif à chaque personne qui ouvre la porte. Mais rien. Je me rends bien compte que je suis chelou. Dans un établissement scolaire, les seules personnes qui ont, au moins, mon âge, sont soit prof soit pion. Moi, je suis là à attendre et à regarder partout. Bien louche comme il faut.
Mais alors que je perds espoir je la vois sortir par l’autre porte qui donne sur l’entrée du lycée. J’ai bien fait d’opérer mon repli stratégique. Elle me voit tout de suite (cf : le paragraphe précédent) et je lui fais signe. En un clin d’œil elle me reconnaît, même si j’ai pas mal changé. Ouais, c’est ça les bons profs, ils se souviennent de leurs élèves. Là, sans tarder, car je sais qu’elle a un cours à donner, je lui dis ce que je voulais lui dire : « Vous avez été la meilleure prof que j’ai jamais eu, merci ». Bon, je vous relate ici une version courte. Mais j’ai dû le répéter plusieurs fois, l’émotion. Content d’avoir réussi ma mission, le cœur léger, je suis prêt à partir. Mais c’était sans compter sur sa gentillesse totale.
Du coup, elle me dit de l’accompagner jusqu'au collège et elle me demande ce que je deviens. C’est marrant car jamais je ne lui avais parlé comme ça à l’époque. Pourtant, je m’attendais exactement à ce qu’elle soit aussi sympa et avenante. Elle me dit aussi qu’elle est très touchée par ma démarche. Je la sens super sincère. Une fois dans le collège, elle se fait alpaguer par une élève. Maintenant que je suis adulte et que j’ai tâté les comportements des gens, je vois que ce n’est pas une élève « normale ». Elle parle très bas, elle s’excuse d’être là. Une fois leur échange terminé, la prof d’anglais m’explique (sans que je lui demande) que c’est une enfant déscolarisée à cause d’un contexte familial compliqué et que c’est seulement la troisième fois de l’année qu’elle vient en cours. Et elle dit ça avec une empathie totale. D’ailleurs, pendant qu’elle lui parlait, elle lui a dit qu’elle serait toujours là pour l’aider à passer son brevet et qu’elle pouvait compter sur elle.
Bref, vous l’avez compris, le temps passe et sa classe est la seule qui encore dans la cour à l’attendre. Elle me demande si elle peut me faire la bise, me redit à quel point elle est touchée par ma démarche et alors que je m’apprête à repasser ces grilles que j’ai connues pendant 4 ans, elle me lance un : « À dans 20 ans ! » avec un grand sourire. Ouais, car ça faisait 20 ans qu’on ne s’était pas vus.
Je suis ému. Je m’en vais le cœur léger et content que le destin ait mis quelqu’un comme ça sur ma route.
Merci Madame.
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