mardi 17 janvier 2023

Avis lecture - Le syndrome du patron de gauche d'Arthur Brault-Moreau

J'ai fait quelque chose que je n'avais jamais fait avant. Je suis allé dans une librairie (Libertalia pour ne pas la citer) sans aucun objectif d'achat de livre précis. C'était le jour où Antifa, le jeu, s'est retrouvé sous le feu des projecteurs parce qu'il était vendu par la FNAC. La polémique m'a saoulé. Vu que j'avais déjà joué au jeu un an auparavant dans cette même librairie, je n'y suis pas allé pour l'acheter mais pour soutenir le lieu. 

J'ai donc laissé traîné mes yeux sur les étagères. J'ai failli prendre un Jonathan Coe, un auteur anglais que j'aime particulièrement mais finalement mon dévolu s'est jeté sur un livre dont le titre a attiré mon oeil. J'ai lu la quatrième de couv' et ça a fini de me convaincre de l'acheter. 

Dans cet article, je vais vous dire ce que j'en ai pensé. 

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De quoi ça parle ? 

Tout ce qui relève du champ lexical de l’employeur, du patron, du « management » ou du salariat est considéré comme libéral, apparenté à des valeurs de droite. Ce comportement est typique du patron de gauche : en rejetant ces mots, celui-ci se prive de – ou plutôt s’épargne – toute réflexion sur le sujet. L’expression « patron de gauche » souligne à elle seule le paradoxe de la situation : dans la pratique, « patron » ; dans le discours, « de gauche ». Né en 1993, diplômé de Sciences-Po, Arthur Brault Moreau a fait l’amère expérience du patronat de gauche dès sa première embauche. Forcé de constater que ce positionnement politique ne garantissait en rien le respect du droit du travail, il a mené une enquête auprès d’environ 70 personnes, dont beaucoup de salarié·es et quelques employeurs. Guide de développement collectif plus que personnel, ce manuel fournit des outils concrets pour comprendre et combattre ces patrons qui ne disent pas leur nom.

Mon avis

C'était instructif. Très instructif. J'ai apprécié le fait que l'auteur de l'enquête s'adresse à des employés qui évoluent dans des structures différentes. De l'employée d'un théâtre à un journaliste en passant par un assistant parlementaire d'un élu de gauche. 

J'ai bien aimé aussi qu'il fasse un livre qui fait mal. Un livre contre « la cause ». C'est un vrai tabou ça. Dans des milieux, tout se sait, pourtant, souvent, les gens ne disent rien pour ne pas desservir leur cause. C'est valable pour plein de sujets différents. Récemment, il y a eu quelques exceptions. Mais ça reste rare. Ce livre est un pavé dans la mare du monde de l'emploi des entreprises dites de gauche. 


La première page que j'ai cornée parle littéralement de moi. 

Page 68

« Marie, salariée d'une association d'éducation populaire : " C'est un travail qui me plaît, qui a du sens pour moi. Dans le privé, je pourrais toucher bien plus, avoir plus d'avantages, mais j'ai décidé de mettre mes compétences, mes années d'études et d'expérience au service d'un projet qui me parle. " Ce que l'organisation de gauche ne fournit pas sur les plans monétaires et matériel est compensé par son mobile idéologique. L'idéologie apparaît comme un mode de rétribution à part entière. 


Page 73

Un peu plus loin, un salarié d'une distribution alimentaire bio dénonce une hypocrisie des patrons de gauche. 

« Son ressort, ce sur quoi [ma patronne] compte, c'est notre motivation politique. C'est peut-être ça la différence avec un patron de droite ou classique : lui, il sait que c'est l'argent qui compte, les bénéfices, etc., et il sait que pour le salarié, c'est pareil. Il y a une hypocrisie en moins. Pour le patron de gauche, tu ne travailles pas pour l'argent, mais pour des valeurs, pour des choix de société, et ça lui permet de te manipuler. »


Page 109

Il y a eu autre passage qui m'a alerté en tant que minorité sociale. 

« Lorsque je dénonce - ou simplement souligne ! - un acte ou un propos homophobe, on m'oppose souvent la preuve implacable d'un engagement ou d'un discours affiché contre l'homophobie par l'organisation. Si, en général, les gens peinent à reconnaître une attitude oppressante, dans les milieux militants, une telle reconnaissance apparait comme encore plus difficile, sans doute parce qu'il y est compliqué de penser la possibilité d'un propos ou d'un acte discriminant. Comment puis-je dire ou faire quelque chose d'homophobe si je suis engagé dans une organisation qui se positionne contre l'homophobie ? C'est le pendant militant du "je ne suis pas homophobe, j'ai un ami gay". »


Page 127

Sur le thème de l'hypocrisie des patrons de gauche, il y a également ce passage qui ne me surprend pas du tout. 

« Lorsque Quentin et ses collègues évoquaient avec lui des problèmes au travail, leur employeur redirigeait la conversation sur des considérations générales. "Il justifiait la précarité de notre travail par le fait qu'il s'agissait d'un travail militant, un engagement." Ce comportement peut se résumer en un syllogisme assez simple : l'organisation lutte contre le système capitaliste, le système capitaliste est le vrai problème, il n'y a donc pas de vrai problème dans l'organisation. Ici, le romantisme de gauche ne sert pas seulement à masquer ou à justifier de mauvaises conditions de travail, mais bien concrètement à imposer le silence et l'obéissance aux salarié·e·s. »  


Comme d'habitude, je ne veux pas mettre trop d'extraits pour ne pas vous divulgâcher le contenu. Je ne dirais qu'une chose : si vous évoluez professionnellement dans une entreprise de gauche, c'est un livre à lire absolument

Plusieurs fois, je me suis arrêté, bouche bée, en ayant directement en tête une entreprise en tête. Je pense notamment au moment où quelqu'un décrit une entreprise qui ne tourne qu'avec des stagiaires et des contrats pro. 

Enfin bref, je ne regrette pas cet achat, au contraire. Je n'espère qu'une chose, c'est que ce livre tourne le plus possible. 


Infos  

224 pages, 19 €. 

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